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État et internet : des voisinages instables / Enjeux techniques, modèles économiques, choix politiques. Introduction


vendredi 15 juillet 2011

Voir en ligne : Revue Esprit

Le rythme des innovations techniques dans le domaine numérique a de quoi donner le tournis. Pourtant, plus important encore que le changement pensé par les informaticiens, la diffusion des usages apporte son lot imprévisible d’innovations et d’inventions, chamboulant au passage des modèles économiques (celui de la presse, par exemple), des modes de consommation (l’écoute de la musique en ligne, en partie de la télévision et du cinéma…), des formes d’échange (les réseaux sociaux). Avec l’internet, et les multiples objets techniques numériques qui sont maintenant en réseau (ordinateurs, téléphones, tablettes…), l’innovation n’a pas pour seule expression la technologie mais se décline en de multiples dimensions.

C’est pourquoi, bien que la futurologie ait prospéré sur le sujet, la prudence s’impose pour imaginer sur quoi débouchera la suite du développement de l’internet et des réseaux en ligne. Rien, par exemple, ne pouvait laisser présager il y a encore un an le rôle que jouerait dans les révolutions des pays arabes, surtout en Tunisie et en Égypte, la facilité d’usage de nouveaux outils numériques – téléphones portables, ordinateurs personnels et des modes de communications comme les réseaux sociaux et les messageries instantanées. Loin des usages pour lesquels ils ont été pensés, ils sont devenus des instruments de mobilisation politique en invention permanente. Cela ne signifie pas que la politique se déroule hors sol dans des réseaux virtuels mais plutôt que ces outils permettent des ruptures de comportements qui dépassent l’approche technique.

C’est donc avec prudence qu’il faut observer ce qui nous semble nouveau dans les usages des technologies de l’information et de la communication. Mais une évidence apparaît déjà : nous sommes bousculés et transformés par les terminaux numériques. La diplomatie américaine, confiante dans la puissance créatrice de ces bouleversements, a déjà annoncé que sa diplomatie visait désormais à promouvoir un « droit à la connexion », c’est-à-dire la possibilité non seulement de recevoir des informations par les réseaux mais aussi, réciproquement, de communiquer sa pensée, considéré comme un nouveau droit fondamental. Ce droit à la connexion accompagne un mouvement de mise en relations et d’échanges des idées indissociables de l’exercice de la liberté. En France, le conseil constitutionnel a considéré que l’accès au réseau est désormais tellement essentiel à l’exercice des droits du citoyen que son interruption ne pouvait être décidée sans l’intervention d’un juge.

Mais, symétriquement, les réseaux donnent un moyen de contrôle puissant sur les internautes ou les citoyens et les consommateurs. En Syrie, le conflit entre le régime et les contestataires s’est joué, en partie, sur les réseaux sociaux, lieux d’affiliation et de mobilisation. En Chine, le régime exerce une surveillance intense sur les communications en ligne. Mais dans les pays démocratiques également, des innovations techniques, comme la géolocalisation, permettent de réunir tellement d’informations sur un internaute, en offrant une grande facilité pour croiser des données qu’il livre lui-même ingénument, que le respect de la vie privée, ou d’éléments que nous considérions jusqu’à présent relever de la vie privée, sont disponibles très largement au tout-venant ou deviennent objet d’échanges commerciaux et de publicité.

Diplomatie, sécurité, protection des libertés individuelles : l’État ne peut se désintéresser du développement de l’internet et de ses conséquences politiques et sociales. Dominique Piotet présente tout d’abord le développement des réseaux de sociabilité sur l’internet et la manière dont ils ont déjà changé notre vie. Françoise Benhamou fait le point sur les enjeux à traiter et les choix qui se présentent à nous, si l’on ne croit pas au mythe d’un secteur autorégulé. À quel stade l’action publique doit-elle intervenir ? Est-elle encore légitime ? Et, si oui, pour faire quoi ?

Une économie qui se veut tournée vers l’innovation doit accepter que le statu quo juridique soit bouleversé par de nouveaux venus et s’assurer que les règles établies ne favorisent pas de manière disproportionnée les entreprises établies sur un secteur. L’État veut donc à la fois favoriser l’innovation économique, pour rester dans la course de la concurrence mondiale, et veiller à ne pas accepter des bouleversements normatifs insupportables. Juste une question d’équilibre ?

Pierre-Jean Benghozi rappelle comment le secteur des industries culturelles a été bousculé par l’internet, et continue de l’être. Mais, contrairement à l’idée qu’il faudrait que le vieux modèle achève sa disparition pour que le nouveau apparaisse, il montre que le rythme de transformation va se maintenir et que la réinvention du modèle économique des médias devient une roue sans fin. Contre le mythe de l’entrepreneur génial, qui prédomine dans le secteur, Jean-Baptiste Soufron examine les conditions complexes de l’innovation sur l’internet. Il insiste sur la sociabilité qui unit les créateurs d’entreprise et sur la place des infrastructures et de l’action publique dans l’émergence de nouvelles entreprises.

Tout ce processus ne relève pas seulement de décisions techniques ou technocratiques mais d’une culture. Comme le montre l’exemple emblématique des films d’animation Pixar, l’invention et l’obsolescence techniques peuvent être des sujets d’intrigues, donnant naissance à des situations dramatiques et à des personnages, dont on pourra faire le lien avec l’histoire politique américaine. Car, l’internet s’inscrit dans une culture dont elle rencontre, ou réactive, des lignes de force profondes. La présentation de soi, notamment l’exigence de transparence, qui s’observe sur l’internet et les réseaux sociaux, relève Magali Bessone, reprend très clairement les idées des fondateurs de la philosophie américaine du perfectionnisme. Mais Emerson et Thoreau se retrouveraient-ils dans le type de « transparence » valorisé par des réseaux en ligne afin de capter un maximum d’informations monnayables sur nos profils et nos préférences ? Rien n’est moins sûr…

L’internet n’est pas un lieu d’expression supplémentaire ni un lieu à part, c’est une transformation générale de notre culture. Mais comment en garder la force d’invention sans déstabiliser les règles essentielles de nos libertés ? Si la question est adressée aux pouvoirs publics et aux utilisateurs, elle ne peut être ignorée par les acteurs du Web eux-mêmes, où de nouveaux monopoles risquent de se mettre en place et d’étouffer l’inventivité du réseau. L’internet restera-t-il créatif ? C’est pour qu’il le reste vraiment qu’il a besoin de règles et de civilité.


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