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Alan T.
Par Denis Seel


dimanche 23 septembre 2012

Il enterre ses petits soldats cassés, pour voir s’ils vont repousser entiers.
Il s’arrête au pied des lampadaires et fixe longuement les numéros de série.
Il se demande où la pensée apparaît dans le cerveau.
Il se demande pourquoi nous avons des corps.

Il court tous les jours. C’est un marathonien. Il court pour s’atteindre. Il court pour penser.

Il imagine une machine universelle. Elle peut calculer n’importe quelle séquence calculable.

Pendant le second massacre mondial, ses 49 machines briseuses de codes font le bruit de trois millions d’aiguilles à tricoter. Elles décryptent les messages de la machine ennemie, aux dix millions de milliards de clefs possibles.

Il veut construire un cerveau, une machine pensante qui aurait la même peau que l’esprit, une sorte de peau d’oignon à peler, et il se demande si l’on parviendra finalement à l’esprit « véritable », ou à la peau qui ne contient plus rien.
Cette machine apprendrait comme le fait un enfant. Elle serait son propre enfant.
Elle serait capable de créer une sonate, non pas par arrangement de symboles, mais par pensée ressentie, et elle saurait l’avoir écrite.

Il passe des heures, couché sur l’herbe, à observer des marguerites.
Il se demande comment elles peuvent grandir.
Il publie un article intitulé : « Esquisse du développement d’une marguerite ».

Il veut trouver la façon dont la vie progresse, découvrir comment elle s’organise.
Existe-t-il une géométrie de la vie ?
La nature a-t-elle un programme ?
Quels sont ses algorithmes ?
Il cherche à modéliser le développement des formes biologiques, dans l’espoir de parvenir ensuite à une simulation informatique.
Il espère assister ainsi à la naissance et à la constitution de la vie.

Pour « pratiques indécentes réitérées en compagnie d’un autre homme », pour « soixante-neuf frictions internes et masturbatoires mutuelles », il est condamné à la castration chimique.
Il va voir sept fois le film « Blanche Neige et les sept nains ».
Il fredonne sans cesse le couplet de la sorcière  : Plonge la pomme dans le bouillon, Que la Mort qui endort s’y infiltre.
Il publie son dernier article : « Problèmes solubles et problèmes insolubles ».

Un Lundi de Pentecôte, le lendemain du jour du souffle violent, des langues de feu, l’année où pour la première fois un homme court le mile en moins de 4 minutes, il trempe une pomme dans du cyanure.
Il la mange.

Texte de Denis Seel, enseignant de lettres, fils de Pierre Seel déporté homosexuel durant la seconde guerre mondiale.


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