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ém@ncipé
par Laurie Chiara


samedi 8 octobre 2011

Portrait de Marc Monticelli, responsable de l’Espace-Turing, parû dans le magazine "CultureScience.mag" d’octobre 2011. Pour télécharger ce numéro


Assis dans une demi-pénombre, il fait face à une porte entrouverte. Montures fines, barbe de plus de trois jours, Marc Monticelli porte un tee-shirt à l’effigie des Space Invaders, de petits personnages pixellisés hérités des jeux vidéos de première génération. Deux Mac éclairent doucement la pièce, envahie sur ses murs de machines davantage « collector », prêtes à rejoindre l’attirail de l’Espace Turing (1), exposé dans les salles adjacentes. Car nous voilà dans un musée « fait main », dont chaque accessoire, jusqu’aux posters épinglés, raconte une petite histoire de science et d’informatique. Et aux commandes de ce lieu marginal, il y a cet homme de 40 ans, qui accepte le qualificatif de « geek », mais dans sa version 80’s. Parfois renfrogné, intarissable au sujet du numérique et de ses engagements au sens large, il n’a jamais envisagé sa passion comme un « hobby ». Depuis le début, l’ordinateur est une affaire sérieuse. Ingénieur de recherche CNRS en informatique au laboratoire de mathématiques de l’Université Nice Sophia Antipolis, il passe donc ici deux après-midis par semaine, entouré en grande partie d’affaires personnelles. Les consoles de jeu, les premiers ordinateurs, les machines à calculer sous cloche ou à la merci des mains baladeuses, s’abandonnent à la curiosité passagère des visiteurs. « Avant je les conservais dans mon studio, cela doit trahir chez moi un penchant pour les madeleines de Proust... », confesse, un sourire en coin, Marc Monticelli.

Avec cet engin, 
tu n’avais peut-être pas le niveau d’un grand, mais tu avais la même machine et les mêmes instructions

À deux portes de là, un gamin silencieux plonge un peu de la tête, un joystick sur les genoux. « Celui-là passe souvent, ici il se régale », commente le maître des lieux. Au même âge, l’ingénieur tenait à peu de choses près la même posture. Il termine son primaire, pas solitaire mais déjà indépendant. L’enfant a soif d’autonomie et de libre arbitre. Il se brouille avec le système scolaire et par la même occasion avec les mathématiques et les sciences physiques, dont il est pourtant féru. Il se passionne alors pour une discipline qui n’existe pas encore dans les registres de l’Éducation Nationale et qui n’interdit rien, même pas « d’être un grand » avant l’heure. Derrière une tente, lors d’une fête populaire, il tombe sur un petit boîtier rectangulaire sombre, baptisé ZX81 et s’entend tenir une promesse : « avec ça, tu fais ce que tu veux ». Comprendre, tu peux programmer. « pas le niveau d’un grand, mais tu avais la même machine et les mêmes instructions », s’enthousiasme encore Marc Monticelli. « À partir de là, j’ai vécu quelque chose qui ressemble à l’histoire du geek dans les années 80, maintes fois décrite sur le petit écran », résume-t-il. Au détail près que ses parents n’ont pas de fortune personnelle à lui sacrifier en équipement, et pas de réseau à activer pour le « placer » dans le milieu. Mais ils lui font tout de même quelques beaux cadeaux. « La petite histoire, avec ma mère, c’est que lorsqu’elle a su qu’elle était enceinte de moi, en 1969, elle effectuait un stage chez IBM. Ensuite elle m’a toujours assuré que si elle était nulle en informatique, c’est parce qu’elle m’avait tout donné », s’amuse l’ingénieur. Son père, agrégé de lettres, écrivain, est ancien chargé de mission culturelle au rectorat de l’académie de Nice. Avant-gardiste de l’interdisciplinarité, il comprend assez vite le parti qu’il peut tirer de l’informatique pour ses travaux de recherche. C’est lui qui contribuera à former son fils au collège de Contes, après les cours.
Il ne pose alors qu’un seul interdit à l’enfant : les jeux vidéos. Qu’importe, les jeux de rôles n’ont jamais tenté Marc Monticelli. « Pourquoi perdre du temps à jouer à ce qu’on n’est pas alors qu’il y a tant à faire dans le monde réel ? », s’agace-t-il. Une philosophie qui lui vaut de grandir en décalage avec les préoccupations dominantes propres à sa génération. À 12 ans, il invente des programmes de dessin. Dans la foulée, comme il a à coeur de partager ses savoirs, avec des copains il improvise un journal, un « New Look à un Franc », construit autour de fiches sur les basiques de la programmation. À 15 ans il passe à la télématique et développe un logiciel de serveurs bbs sur le Minitel familial. Une année plus tard, il développe des logiciels ou des shareware en freelance. Même ses pompes pour le lycée deviennent prétextes à programmer.

Le NeXT comme fil d’Ariane

À ce rythme, il ne tarde pas à suivre le « maître » Steve Jobs dans ses shows et à cocher les dates de l’Apple Expo parisienne sur son calendrier. Au passage, il enregistre toutefois son lot de désillusions. À la fin du secondaire, il a le sentiment désagréable de s’être fait usurpé une idée de logiciel et les portes de Compiègne se refusent à lui faute de dossier scolaire suffisamment constant. À l’Université de Nice, les informaticiens lui réservent un accueil narquois. « Et puis il y avait toute cette histoire avec le NeXT qui m’obsédait. Cette machine sort et elle casse tous les standards de l’époque. Je ne pensais plus qu’à ça », assure Marc Monticelli. Le jeune développeur imagine alors une application propre à changer le look du Mac pour le travestir... en NeXT, puis un logiciel de visioconférence et un projet « web-like ».

Fidèle à ses idéaux, il collabore enfin à un fanzine des utilisateurs de NeXT, le FaNG (French area Next Group). C’est à cet endroit de la pellicule que dans les téléfilms, la bonne fée jette un sort au téléphone du héros. Bingo. Un matin, parvient en effet un coup de fil prodigieux. Celui d’un homme élevé au rang de mythe dans les lignes des jeunes programmateurs. Il s’appelle Jean-Marie Hullot, il est Français et il a été débauché de l’INRIA, un laboratoire en informatique, pour devenir chef du développement chez NeXT. « Je leur avais soumis un projet auquel je croyais beaucoup, assez similaire aux interfaces web actuelles et JeanMarie Hullot souhaitait en discuter. J’y croyais à peine ! », se remémore Marc Monticelli. La suite aurait pu sonner le happy end, mais il faudra attendre encore un peu. Le Niçois rêve d’un stage outre-atlantique, l’entreprise NeXT embauche en masse... malheureusement s’immisce un obstacle difficile à contourner.
« Je devais faire mon armée bientôt et je savais que cela remettait tout en question. C’est comme ça », commente simplement l’ingénieur. Tant pis pour la Sillicon Valley et la société Steve Jobs. Quelques clics plus tard, son enthousiasme demeure intact. Il cherche dans son périmètre natal une communauté active autour du NeXT. « Là, je tombe sur un numéro de téléphone sans adresse. Mais l’indicatif laissait présager qu’il se passait quelque chose pas loin de chez moi. J’ai appelé et je suis tombé sur un labo, l’INLN (2) », raconte Marc Monticelli. À l’autre bout du fil, le physicien Pierre Coullet lui propose de « passer ». De dépannages du réseau en programmations, le temps file dans l’ambiance d’une équipe de recherches, jusqu’au printemps 2005.

Et au bout, l’Espace Turing

« Il y a un trajet en voiture dont je me rappelle très bien, celui où Pierre me propose de créer avec lui à l’Université un Institut de Culture Scientifique (3). Je sentais que ça pouvait être quelque chose d’unique alors j’ai foncé », explique-t-il. L’enjeu consiste alors à développer des outils pédagogiques interactifs et intuitifs, à conceptualiser des livrets électroniques, à valoriser une approche expérimentale grand public des sciences. Mais après deux ans, Marc Monticelli choisit de se recentrer sur son activité de programmation et de création de logiciels. Il avait notamment laissé en suspend une idée d’outil de simulations numériques interactives, baptisé XDim. Il intègre donc l’équipe des systèmes dynamiques du laboratoire de mathématiques Jean-Alexandre Dieudonné et ressort tout de même des cartons un vieux projet de musée de l’informatique.

« Les gens n’étaient pas très décidés à me suivre alors j’ai proposé de m’en tenir à une exposition sur l’expérimentation numérique interactive. Je voulais raconter au moins ça et c’est un sujet qui avait un sens par ici (4) », souligne-t-il. Lancé dans ces nouvelles péripéties, il lui tombe entre les mains la machine sur laquelle Pierre Coullet avait observé un phénomène clé de ses recherches : les mécanismes de transition vers le chaos. De fil en aiguille, les deux hommes restaurent alors un dialogue sur la culture scientifique. La boucle est presque bouclée : « À la rentrée 2010, il me propose un espace d’exposition pédagogique sur le site de Saint-Jean d’Angély ». L’Espace Turing a trouvé chaussure à son pied.

(1) Baptisé ainsi en hommage au mathématicien britannique Alan Turing, qui a donné le coup d’envoi à la création des calculateurs universels programmables (ordinateurs). Il invente la machine de Turing, le premier calculateur universel programmable, et imagine les concepts de programmation et de programme.
(2) Institut Non Linéaire de Nice.
(3) L’Insitut Robert Hooke, devenu l’Institut Culture Science Alhazen.
(4) Les machines exposées sur le site de SaintJean d’Angély 3 constituent un clin d’oeil aux orientations audacieuses qu’ont assumées des chercheurs de l’UNS depuis une quarantaine d’années. Michel Hénon, ancien et éminent chercheur de l’Observatoire de la Côte d’Azur, se positionne par exemple en père fondateur de l’expérimentation numérique, lorsqu’il utilise la première calculatrice programmable afin de développer son « modèle de Hénon », repris aux quatre coins du globle.


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